Entre les États-Unis et la Chine, la guerre des câbles internet est déclarée

Comment un contrat pour installer des câbles sous-marins entre l’Asie et l’Europe a été l’objet d’une première bataille entre la Chine et les États-Unis.

La bataille du « SeaMeWe-6 », une histoire qui mêle business, technologie particulièrement critique, et rivalité entre la Chine et les États-Unis, illustre à quel point la compétition entre les deux pays se joue aussi dans le secteur des câbles sous-marins. Dans un article fleuve du 24 mars dernier, l’agence Reuters raconte comment un contrat faramineux pour installer des tuyaux sous-marins dépendant de Singapour à la France, initialement décroché par une entreprise chinoise, a finalement été remporté par une entreprise américaine. À coups de pressions et « d’incitations », les Américains seraient parvenus à faire pencher la balance en leur faveur.

L’histoire que l’agence de presse est parvenue à reconstituer, sur la base de témoignages de six personnes directement impliquées dans ce contrat, commence au début de l’année 2020. Un appel d’offres est lancé par un consortium d’entreprises des télécoms – dont font partie Microsoft et Orange – pour poser un câble de près de 20 000 kilomètres qui transférera les données de l’Asie vers l’Europe, via l’Afrique et le Moyen-Orient, à des vitesses ultrarapides. Montant du contrat qui s’intitule « Asie du Sud-Est-Moyen-Orient-Europe occidentale 6 », ou « SeaMeWe-6 » en version courte : 600 millions de dollars.

Les câbles sous-marins, des mines d’or pour les services secrets

Rapidement, une entreprise chinoise se positionne : HMN Technologies Co Ltd – cette société appartenait jusqu’à peu à Huawei. HMN Tech est en compétition avec une autre entreprise américaine, SubCom, pour remporter le marché. Au sein du consortium des entreprises de télécommunications, deux clans s’opposent. L’un, composé par trois sociétés chinoises, soutient l’offre de HMN Tech, qui propose de fabriquer et de construire le câble pour 500 millions de dollars. L’autre, dont font partie Microsoft, Orange, fait partie de son inquiétude quant à la réaction des États-Unis. Mais tous se rangent derrière l’offre de HMN Tech, 30 % moins chère que sa concurrente, notamment grâce à d’importantes subventions de Pékin. Un accord oral est donné pendant l’été 2020, pour accepter l’offre de HMN Tech.

Ce n’est pas du goût du gouvernement américain, inquiet de voir une entreprise chinoise chargée de ces câbles – car ces derniers pourraient être utilisés pour l’espionnage à grande échelle. Ces canaux sous-marins, qui transportent près de 95% du trafic internet, ne transfèrent ni emails, ni transactions bancaires, mais aussi des informations estampillées secret défense. Ce sont de véritables « mines d’or de surveillance » pour les agences de renseignement du monde entier, a expliqué Justin Sherman, membre de la Cyber ​​Statecraft Initiative de l’Atlantic Council, un think tank basé à Washington, cité par Reuters.

« Lorsque nous parlons de la concurrence technologique entre les États-Unis et la Chine, lorsque nous parlons d’espionnage et de saisie de données, les câbles sous-marins sont impliqués dans tous les aspects de ces tensions géopolitiques croissantes », un expert cet expert détaillé.

A lire aussi : Comment la chute d’un agent de renseignement révèle l’ampleur de l’espionnage industriel chinois

Bourses de formation, menaces de sanctions américaines,…

Et les moyens mis sur la table pour changer la donne et faire gagner SubCom a montré à quel point la guerre technologique qui se joue entre les deux pays fait rage. Pour commencer, Washington dresse un plan de bataille. L’objectif : défendre les intérêts américains. Un groupe de travail, connu sous le nom de « Équipe Télécom » et composé de membres de différentes agences américaines, est créé. Première mesure : l’Agence américaine pour le commerce et le développement (USTDA) offre des « bourses de formation » de 3,8 millions de dollars à cinq entreprises de télécommunications. En échange, elles doivent défendre le choix de SubCom – une information confirmée par l’USTDA à nos confrères.

Ensuite, la menace de sanctions américaines sévères subies à HMN Tech est brandie. On avertit des opérateurs de télécom impliqués dans le projet que leur investissement dans HMN Tech pourrait être compromis en raison de sanctions américaines qui pourraient tomber incessamment sous peu. En d’autres termes, des fonctionnaires américains auraient expliqué qu’ils optaient pour HMN Tech, ils feraient faillite puisque le câble ne pourrait pas être utilisé.

Enfin, la machine diplomatique aurait également été utilisée. Des coups de fil auraient été passés via les ambassades pour avertir les pays concernés des « risques de sécurité » posés par HMN Tech, selon un haut fonctionnaire du département d’État américain. Cette information n’a pas été confirmée par le ministère du Commerce américain. Concrètement, les Américains auraient expliqué que HMN Tech pouvait insérer des équipements de surveillance à l’intérieur du câble.

D’autres batailles du câble internet en cours

Ces différentes mesures ont semé le doute, en particulier chez ceux qui émettaient déjà des réserves sur HMN Tech. En février 2021, les deux sociétés auraient alors été invitées à présenter leur meilleure et dernière offre. Les deux entreprises auraient baissé leur prix : SubCom proposerait désormais 600 millions de dollars, contre 475 millions pour HMN Tech. Orange, Microsoft et Singapore Telecommunications Limited (Singtel) ont à ce moment-là montré que la société américaine proposait la meilleure offre, notamment en raison du risque de sanctions.

Résultat : en février 2022, SubCom annonce désormais avoir remporté le contrat du câble SeaMeWe-6. Contactés par nos confrères, ni SubCom, ni HMN Tech, ni les entreprises de télécoms concernées n’ont souhaité faire de commentaires. Et ce contrat ne serait qu’un élément parmi de nombreuses autres opérations adaptées en coulisses, rapport Reuters. Parmi elles, « Team Telecom » fonctionnerait aussi pour faire capoter tout projet de câble dépendant directement du territoire américain à la Chine continentale ou à Hong Kong. Et tous ces éléments ne seraient que la partie émergée de l’iceberg de la vaste guerre technologique à laquelle se livrent les deux pays.

Source :

Reuter

Source link

CEO GoConect
CEO GoConect
Articles: 499

Laisser un commentaire